#01 A propos du cordier de violoncelle

CONGRES ALADFI 1998 Aix les Bains
A PROPOS DU CORDIER DE VIOLONCELLE

05/98

Bien de respectables violoncelles de 200 ans, échangés sur les ventes, ont attiré mon oeil. En les voyant, j’ai eu un sentiment d’incongruité: Comme un meuble de style recouvert de bois synthétique
Irrésistiblement attiré par le cordier rutilant en plastique,ne voyant plus que lui,  je fulminais que ce string indécent me cache l’instrument .
Il y avait quelque chose à améliorer sur ce cordier, du moins pour l’unité esthétique.!



Je suis fabricant d’accessoires et ma confrontation au montage et au réglage est limitée.
J’ai toutefois des questions à poser sur l’évolution des accessoires du Quatuor.

Le chevalet, situé en plein milieu, est le centre de gravité acoustique de l’instrument .C’est le point source du son ; aussi est-il bien normal qu’il ait pris le centre d’intéret :chaque luthier y apporte un soin extrême, autant pour sa conception, que sa réalisation pratique.
Cette pièce, faite et refaite si souvent ouvre le champ à l’expérimentation et à l’usage de petites recettes personnelles .Elle reflète le fabricant, et le sens profond de son travail,qui amène l’instrument au sommet de ses possibilités .
Une telle focalisation a souvent laissé dans l’ombre les autres pièces à savoir, les accessoires .
Qui aurait cru pourtant, que les accessoires d’un violon (touche comprise) atteignent le quart de son poids total ?
Nous sommes loin de l’époque de Stradivari, qui a été jusqu’à dessiner des ferrures, magnifiques charnières d’étui de violon .Notre spécialisation industrielle a réparti les tâches...et le luthier n’a plus fabriqué de cordiers, chevilles ou mentonnières, ...il les a achetés, ...et leur évolution propre lui a échappé .
Je me suis demandé pourquoi ces accessoires, honnêtes composants d’un bel objet , d’un bel outil que l’on nomme violon, ont tant évolué .
La mentonnière, 5 fois plus grande qu’il y a 100 ans, la pique de cello qui s’est allongée du triple dans la même période, alors que les instruments eux-même ont peu évolué, cela pose question!!
Ces accessoires qui sont l’interface, le point de liaison avec le musicien, ont été les premiers à répondre aux modifications techniques demandées par l’évolution musicale et culturelle.

Ces transformations dans l’accessoire respectent-elles l’instrument ?Lui laisse-t-elles toutes ses capacités d’outil sonore ?
Mais revenons au cordier de violoncelle.
Au niveau de sa fonction acoustique et mécanique, il est clair qu’un bon cordier ne fera de miracle, ni sur un Strad, ni sur une caisse à savon , même s’il contribue à aider dans bien des situations.
Voilà une étude qui a encore intéressé peu de luthiers, sans doute parce que cette pièce,  industrielle ,est d’origine externe à l’atelier.Le cordier est posé bien souvent telle quel.   Le luthier doit donc “faire avec”, et jouer sur d’autres paramètres au réglage sonore.

L’évolution de la pièce depuis 100 ans,ne me parait pas liée aux besoins acoustiques, mécaniques ni esthétiques de l’instrument, en voici quelques exemples...

Une diminution notable de la largeur de la tête sur les cordiers en ébène de Mirecourt au début du siècle,sans doute pour économiser du bois. La lame d’ébène du cordier post baroque s’est épaissie, puis elle a encore épaissi, gagnant du poids, quand on a utilisé des ébènes plus poreux ou moins choisis, dans la fabrication industrielle .Il fallait éviter un risque de casse 

l’évolution industrielle : économie de bois 

photo1
Cordier violon XIXè, français

Large et léger (11.2 grammes)

photo2
 Cordier violon XXè, français
plus étroit, épais, & lourd (13.8 grammes)



L’adoption de la forme en tulipe, à l’allemande,ce qui facilite la fabrication machine, ainsi que l’arrondissement des 2 coins, minimisant ainsi l’arrachement accidentel par une mèche de cheveux ou un vêtement ., cela au prix d’une modification esthétique regrettable

l’évolution industrielle :  optimisation du travail-machine

photo3

Cordier allemand (Markneunkirchen 1928)

photo4

 Cordiers  allemands (Mittenwald 1980)

L’intégration des tendeurs, demandée par les musiciens, rapidement résolue...et  solidement, par l’industrie...et quand je dis solide, c’est solide, car deux tendeurs seuls pèsent le même poids qu’un cordier de Mirecourt en ébène...
L’usage de corde d’attache en nylon, réglable, au détriment de l’ancienne corde en boyau, qui acoustiquement parait bien plus intéressante

Depuis un siècle, l’industrie allemande de l’accessoire musical a fourni, et fournit encore le monde entier.Son mérite a été de participer efficacement à la démocratisation de la pratique musicale :  solide et pas cher.
Les fabrications françaises et anglaises, connues depuis le XIX siècles se sont éteintes dans les années 50.Je pense à M. Ruer de Mirecourt ou la maison Hill de Londres.

Voyons quels sont les modèles de cordier de violoncelle proposés aujourd’hui sur le marché :
Le Pusch :son système avec beaucoup de pièces métalliques est peu efficace au réglage  de l’accord.Il avait pour lui d’être le seul cordier en bois, du marché.
L’Akustikus en plastique, qui fonctionne très bien, et n’est pas cher.Je regrette son aspect esthétique, et j’ai été étonné de voir qu’il pesait autant qu’un cordier traditionnel en ébène.

Enfin,le Wittner, qui je pense est très utilisé, car esthétiquement plus réussi , et qui fonctionne bien. Sa matière en fonte d’aluminium, le pénalise au niveau du poids( 50% de plus.qu’un cordier en ébène) .

La question de la légèreté de cette pièce a été le point de départ de mes questions.
Le simple poids me parait un critère insuffisant, car voyant qu’Akustikus et Wittner marchent bien, il y a sans doute aussi la qualité de la matière qui compte :L’un léger, et mou, l’autre lourd, mais rigide.
Un autre caractère qui me parait primordial, c’est la répartition du poids, le long du cordier : pour ces cordiers à tendeurs métalliques incorporés, la plus grosse partie du poids se trouve en haut du cordier, a quelques centimètres du chevalet :est ce qu’on a pas ici un effet de sourdine ?
Le dernier point tout aussi important me parait être la corde d’attache, et la souplesse de cette articulation.

Le point de départ du son est bien au chevalet.Sa liberté d’oscillation d’un pied sur l’autre, ou sa liberté de se dandiner, me paraissent primordiales.
J’ai donc fait une expérience.
Pendant le jeu d’un violoncelliste, j’ai fixé à différents endroits du cordier, une masselotte de 40 grammes, un petit serre-joint. L’équilibrage des 4 cordes s’est tout de suite modifié, et l’endroit qui était le plus critique, était en haut, au départ des cordes :un son inégalement éteint, une réponse sonore moins rapide.L’excès de poids des tendeurs serait donc une sourdine.
C’est ce qui m’a amené a concevoir un nouveau cordier, la gamme “Harmonie” : tendeurs en composite très légers.incorporés sur un beau cordier en bois,(ébène ou buis), léger lui aussi.

La rigidité, ou la conductibilité sonore du matériau du cordier parait moins importante.Cependant les essais comparatifs entre un cordier en ébène lourd, le Grenadille, et un cordier léger en Pernambouc me paraissent significatifs.
Juger de la contribution sonore du cordier, parait difficile ,surtout après un remontage de l’instrument, voire un nouveau réglage...
Malgré cela, dans cet essai, deux familles de sons sont apparues :
pour le grenadille, un son large et pointu, bien détaché, et pour le pernambouc un son brillant, touffu et rapide.
Comparant ces sons avec un autre instrument, la guitare, il y avait pour l’ébène un son “guitare classique”, et pour le pernambouc un son “guitare flamenca”.

Pourquoi utiliser du pernambouc ?On s’en était déjà servi à Mirecourt pendant la guerre, lorsqu’on a manqué d’ébène, pour faire des cordiers.A l’époque, personne n’y a rien trouvé d’intéressant pour le son.
J’y reviendrai .

La fixation à la corde d’attache :

Si l’on n’utilise hélas plus le boyau traditionnel c’est pour  faciliter le réglage de la longueur chevalet- cordier .L’usage du nylon fileté s’est malheureusement généralisé sans avoir pris le temps de comparer les qualités respectives du nylon et du boyau.Encore une fois, un matériau mou comme le nylon est plus disposé à amortir la vibration du cordier, donc de freiner le dandinement du chevalet.
En témoignent deux petites expériences :
Immobilisation légère du pied du cordier à l’aide de deux planchettes reposant sur le bord de la table :Le son s’assourdit, perd en puissance.L’étude des sonagrammes montre une réduction importante de l’énergie acoustique en dessous de 1000 Herz. On est là, dans la même situation que la viole de gambe, où le pied du cordier est fixe.
L’élargissement ou le resserrement des deux brins de la corde d’attache modifie l’équilibre sonore des 4 cordes.
La qualité du son me parait incontestablement liée à la liberté de rotation du cordier .

 La longueur et l’écartement des 2 brins de la corde d’attache jouent sur la liberté de mouvement du cordier.

L’utilisation d’une attache en fil d’acier parait souvent convenir aux luthiers, au moins au niveau acoustique, sinon esthétique.Je n’en connais pas la cause, mais l’acier est plus raide que le nylon, et les deux brins de l’attache dans ce montage sont souvent plus rapprochés.
Ainsi, privilégier la possibilité de vibration du cordier, par différents moyens me parait intéressant .Quelques essais restent à étudier, par exemple:
allonger cette corde d’attache en utilisant un cordier plus court
Essayer d’autres matériaux synthétiques qui ont un coefficient d’élasticité proche de celui du boyau.
fixer la corde d’attache “à la baroque”,en cavalier, devrait libérer le cordier..En effet, la sortie de l’attache par dessous bride moins le cordier que l’attache moderne ,qui elle sort au milieu de l’épaisseur du cordier.
photo6

corde d’attache baroque, en cavalier : meilleure liberté de rotation du cordier .
photo7

corde d’attache moderne

L’usage de la corde d’attache monobrin, comme le fait déjà Roger Lanne à Paris.

Bien d’autres expériences sont à mener, pour les cordiers, comme :
varier l’écartement entre les cordes à la sortie du cordier :cela va induire une modification de la liberté de mouvement du chevalet.
Bien sûr essayer divers poids, diverses essences de bois .Au passage, on notera aussi la fréquence de résonnance propre de chaque cordier, et la vitesse de transmission acoustique du matériau (je pense à la machine de Lucci utilisée par quelques archetiers)
Faut-il accorder un cordier ? On peut le faire comme avec une lame de xylophone, pour obtenir une note, souvent de Sol 4 à Mi 5. La fréquence de résonnance propre de cette pièce est elle importante ?Accorder un cordier pour un instrument qui aurait un loup particulier, ou un trou sur une note a-t-il un effet ?
l’étude des variations de renversement derrière le chevalet :    les cordiers français ont un arrondi qui épouse la même forme que l’arrondi du chevalet, alors que les cordiers Hill, anglais sont bien plus plats, un peu comme les cordiers baroques.Le renversement du La & Do est plus faible que sur Ré & Sol

Voilà le sens dans lequel je travaille actuellement avec une commission d’expérimentation acoustique .

Comment valider les “progrès” ou les “résultats” de l’expérience ? C’est un problème pour moi, et je voudrais vous raconter l’épisode du Pernambouc.
Une expérience a été lancée il y a 3 ans à Tokyo par un luthier français , pour des accessoires -surtout des cordiers - en bois de pernambouc. J’en ai été le fabricant.
Au début je ne croyais pas aux vertus de ce bois, et j’ai pensé que les qualités commerciales ou charismatiques de ce luthier imposaient cette mode.
Pour les musiciens,le résultat était miraculeux.
Mais d’où venait l’origine de ce résultat ?De leur tête,? ou bien du pernambouc ?

J’ai alors tenté une expérience avec deux groupes de luthiers:Je demandais à ceux du premier groupe (des gens plutôt favorables aux essais novateurs)d’essayer ce nouveau cordier extraordinaire.
Le second groupe, choisi parmi des luthiers qui doutaient fortement, devait aussi essayer le cordier.
Or le résultat de ces 2 groupes a été identique.: 6 sur 10 trouvaient une amélioration : rapidité et facilité d’émission sonore, ouverture de l’instrument, et parfois diminution de certains parasites.
On peut  conclure que dans cette situation, le produit a parlé sans trop( ou malgré), les interférences humaines: l’expérience me parait alors valable
Je me pose donc la question de la validité des méthodes expérimentales, sachant que jamais un instrument ne sera réglé ni joué deux fois pareil.    Les résultats même s’ils sont réels ne seront pas pour autant applicables à l’instrument du voisin...

Au travers cette évolution du siècle passé, j’ai montré que le cordier est devenu  étranger à l’instrument .Ses modifications ont appartenu d’une part :
*à l’industrie :celle ci a méconnu le rôle de transmetteur acoustique de la pièce(ainsi que la difficulté d’utiliser du bon bois )
*d’autre part aux musiciens qui ont exigé des tendeurs (fine tuners), pour un confort légitime à notre époque, mais au prix d’un alourdissement préjudiciable à la qualité sonore.

Pour le luthier, comme pour le musicien, l’accessoire se borne souvent au rôle mécanique qu’il doit remplir :on dirait qu’il est invisible tant qu’il remplit sa fonction :
Vous voyez bien plus votre voiture ou votre téléphone lorsqu’ils sont en panne !

Ainsi, il est peut-être naturel de voir un cello de Strad avec un cordier en plastique brillant sur une vente de Sotheby’s...le cordier est transparent

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